La RDC renaîtra de ses cendres

La RDC renaîtra de ses cendres

Qui est donc ce longiligne intellectuel sénégalais qui, depuis 2003 s’est fait connaître des Congolais – particulièrement la classe politique – par une activité soutenue dans tous les fora où l’on débattait du Congo, de son présent, de son passé et de son devenir ?

 

Après de brillantes et solides études de droit et sciences politiques commencées à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, poursuivies à l’université de Bordeaux en France et à l’Université du Wisconsin à Madison aux Etats Unis, cet agrégé de droit public et sciences politiques est un expert reconnu en ingénierie institutionnelle.

 

Dès 1997, le Pr El Hadj MBODJ est coopté par le gouvernement et l’opposition du Sénégal – en raison de son indépendance et ses remarquables capacités intellectuelles – comme membre de la Commission cellulaire chargée d’organiser la concertation entre les partis politiques sur la réforme du système électoral sénégalais.

 

Entre 1995 et 2000, il est désigné membre du Haut Conseil de l’Audiovisuel (HCA) du Sénégal, l’instance chargée de réguler la communication sociale. Parallèlement, il est Directeur de l’Institut des Droits de l’Homme et de la Paix (IDHP) de l’Université Cheikh Anta Diop. Pendant cette période, à ce poste, il organise colloques et séminaires avec des acteurs de différents horizons autour de la problématique des droits de l’homme, qu’il s’agit, à ses yeux, d’enraciner en Afrique.

 

Entre 1997 et 2000, il est membre expert de l’Observatoire National des Elections (ONEL), une structure indépendante chargée de superviser et de contrôler les opérations électorales et référendaires.

 

Le Pr. MBODJ est réputé pour son intégrité, son indépendance d’esprit et sa rigueur intellectuelle. C’est un homme de consensus. C’est ainsi qu’il sera chargé par le Chef de l’Etat d’alors, Abdou Diouf, de présenter un rapport sur : « le statut de l’opposition et le financement des partis politiques ».

 

Peu de temps après l’alternance politique survenue au Sénégal en l’an 2000, le Pr. MBODJ devient le Conseiller technique de l’ancien Premier Ministre du Sénégal, M. Moustapha NIASSE – dont nul n’ignore le rôle éminent qu’il a joué et qu’il continue de jouer dans la résolution de la crise congolaise. A ce titre, avec M. NIASSE, le Pr. MBODJ participe aux négociations de Sun City en Afrique du Sud. Il est désigné coordonnateur du groupe des experts des Nations Unies chargé d’élaborer, avec les experts juridiques des composantes et entités du dialogue intercongolais, la Constitution de la transition.

 

Depuis 2003, le Pr El Hadj MBODJ participe activement, en compagnie des hommes politiques congolais et des experts congolais et internationaux, à l’élaboration des textes essentiels devant servir de support à l’organisation d référendum et des élections devant marquer la fin de la transition en RDC.

 

L’universitaire sénégalais qui se dit sensible au message panafricaniste d’un illustre congolais comme Patrice LUMUMBA, auteur de plusieurs ouvrages et articles scientifiques, se dit impressionné par tout ce qu’il a vu et appris en RDC. Sur le futur de la RDC, le Pr MBODJ est optimiste et fait confiance au patriotisme de la classe politique et de la société civile congolaise. Pour lui, le Congo renaîtra de ses cendres.

 

1. Digital Congo : Comment êtes-vous arrivé au cœur de la crise congolaise ? Sur quels critères l’UE vous a-t-elle choisi ?

 

Pr El Hadj MBODJ : Je voudrais, avant tout, rendre grâce à notre Seigneur pour m’avoir permis de participer de près aux négociations politiques inter-congolaises qui ont débouché sur la signature de l’Accord Global et Inclusif du 17 décembre 2002 et l’adoption, le 6 mars 2003 à Pretoria, du projet de Constitution de la transition.

 

Ces instruments juridiques fondamentaux, endossés par les composantes et entités du dialogue inter-congolais à Sun City le 1er avril 2003, sont le résultat d’un long processus formalisé par l’Accord de Lusaka pour un cessez-le-feu en RDC signé le 10 juillet 1999 dont le chapitre 5 de l’annexe A envisageait l’organisation de négociations politiques inter-congolaises devant aboutir à la mise en place d’un nouvel ordre politique. Le point 5.3 du chapitre précité plaçait l’organisation de ce qu’il est convenu d’appeler le dialogue inter-congolais sous l’égide d’un facilitateur neutre, en l’occurrence, le Président MASIRE du Botswana.

 

Des structures de la facilitation avaient été mises en place, parmi lesquelles une Commission politique et juridique présidée par son Excellence Mr Moustapha NIASSE, ancien Premier Ministre du Sénégal, qui, au demeurant, avait participé, en tant qu’envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies, son Excellence M. Kofi ANNAN, aux négociations qui ont conduit aux accords de Lusaka. M. NIASSE devait jeter son dévolu sur notre modeste personne en nous demandant, en tant qu’expert en ingénierie constitutionnelle, de le conseiller et l’assister dans la mise en forme juridique des accords politiques conclus par les parties.

 

L’honneur nous a été fait, par la suite, de travailler en étroite symbiose avec les experts et aussi et surtout, les mandataires des composantes et entités, dans le cadre des âpres négociations intervenues au sein d’une commission particulièrement sensible et, même, d’assurer pendant un certain temps l’intérim du Président Moustapha NIASSE lors de ses absences.

 

Après le constat de l’échec de Sun City I, (25 février – 19 avril 2002), le Conseil de Sécurité des Nations-Unies devait prendre en mains le processus de relance des négociations dans sa double dimension, interne et internationale, sous les auspices du Président MBEKI et de M. NIASSE.

 

Une équipe des Nations-Unies, composée d’experts en provenance de pays comme la Suisse et le Canada, et que j’ai eu l’honneur de coordonner, devait travailler, avec les experts juridiques des entités et composantes, pour élaborer et transcrire en normes juridiques les points d’accord obtenus au cours de ces négociations.

 

C’est ainsi que la petite équipe devait prendre part à la rédaction de l’Accord global et Inclusif et à l’élaboration de la Constitution de la transition.

 

Sur la base de cette expérience acquise sur le terrain, j’ai été invité à participer à New York, du 29 juin au 1er juillet 2003, à une étude de faisabilité des élections en RDC. Rencontre à laquelle avaient pris part plusieurs institutions et organisations apportant leur soutien et leur assistance à la transition en RDC. Cette expérience a sans doute amené l’Union Européenne à jeter son dévolu sur notre modeste personne en qualité d’expert juridique et constitutionnaliste de la mission d’évaluation d’un programme d’appui dans le domaine de la démocratisation et du processus électoral en RDC.

 

Après l’exécution de cette mission qui aura duré de septembre 2003 à avril 2004 et qui nous a permis de prendre part au montage institutionnel et à l’opérationnalisation de la Commission Electorale Indépendante, l’occasion nous sera offerte de suivre tout le processus normatif débouchant sur l’élaboration des lois essentielles y compris le projet de Constitution. C’est ainsi que la Délégation de la Commission européenne a proposé notre recrutement le cadre d’un projet d’appui juridique au Parlement de la transition de la RDC par le mécanisme d’un trust fund géré par la Banque mondiale et exécuté par le BCECO.

 

2. Digital Congo : Disposiez-vous au départ d’éléments d’appréciation de la crise congolaise?

 

Pr El Hadj MBODJ : Très certainement, même si c’est avec un regard extérieur. Quand un pays aussi immense que le Congo tousse, c’est assurément toute l’Afrique qui éternue. En effet, la RDC, de par son étendue géographique, sa position stratégique au cœur de l’Afrique et son histoire politique avec des personnalités légendaires de la trempe de Patrice LUMUMBA qui ont marqué la première génération de l’intelligentsia africaine, est l’épicentre d’un cercle concentrique de développement économique et aussi d’affirmation d’une nouvelle personnalité culturelle africaine. Les théoriciens des thèses développementalistes des débuts des indépendances considéraient le Congo, à l’instar du Nigeria et de l’Afrique du Sud libérée de l’Apartheid comme un futur pôle de développement et d’intégration de l’Afrique noire. Les crises qui ont frappé le jeune Etat congolais, avec l’assassinat de Lumumba en 1961, les tentatives de sécession, le coup d’Etat du 25 novembre 1965 du lieutenant-colonel Joseph-Désiré MOBUTU, l’apogée et le déclin de l’autoritarisme politique, le retour au multipartisme, la Conférence Nationale Souveraine, l’avènement au pouvoir de l’AFDL sous la direction du Mzee Laurent-Désiré KABILA, l’éclatement de cette alliance et la division du pays écartelé entre des forces belligérantes, les négociations qui ont conduit à Lusaka, l’assassinat du Président Laurent-Désiré KABILA et sa succession par le Président Joseph KABILA, sont autant d’éléments permettant aux observateurs politiques d’avoir une appréciation de la réalité de la RDC. Le tout amplifié par une large couverture médiatique internationale.

 

3. Digital Congo : En jetant un regard rétrospectif sur le dialogue intercongolais, quels étaient les points d’achoppement essentiels de ce forum ?

 

Pr El Hadj MBODJ : Le dialogue intercongolais a été un grand moment de retrouvailles des frères et sœurs congolais que la guerre avait opposés et séparés assez durablement. Il fallait dans un premier temps briser la glace en restaurant progressivement la confiance entre des acteurs que tout opposait au départ.

 

C’est ainsi que le démarrage du dialogue intercongolais avait connu des balbutiements liés à l’élargissement de l’assiette des acteurs de la négociation. Alors que l’Accord de Lusaka prévoyait les trois forces belligérantes qu’étaient le Gouvernement, le RDC et le MLC ainsi que les deux forces non combattantes que constituaient l’opposition politique et les forces vives, il apparût très vite que de nouveaux acteurs devraient être pris en compte. Il s’agissait des entités comme le RCD/N, le RCD/ML les Maï MaÏ.

 

Une fois cette hypothèque levée, d’autres points d’achoppement apparurent – notamment des escalades militaires cycliques sur le terrain entraînant autant de suspensions des négociations

 

Au niveau de la commission politique et juridique, la thèse de la gestion de la transition dans la continuité et celle de la tabula rasa avec la désignation sur place de tous les acteurs de la transition s’opposaient vivement. Le caractère sensible de ces questions et l’irréductibilité au départ des positions avaient ralenti considérablement la progression des négociations au sein de la commission, d’autant qu’à un moment, M. Moustapha Niasse devant présider le Congrès de son parti, devait s’absenter de ces assises. Ce qui rendra particulièrement ardues les négociations.

 

Je dois ici rendre hommage au sens du sacrifice, à la sagesse, au patriotisme et à l’esprit de tolérance dont ont fait preuve les frères et sœurs de la commission politique et juridique qui ont permis, durant les absences de M. Niasse, d’assurer son intérim dans des conditions qui nous auront permis quand même d’arriver à des consensus dynamiques.

 

4. Digital Congo : Le médiateur Moustapha Niasse a-t-il paru, à un moment ou à un autre de ce forum perdre patience devant les blocages ?

 

Pr El Hadj MBODJ : M. Niasse est un homme d’Etat de grande envergure, rompu aux négociations internationales et à leur atmosphère. N’oublions pas qu’avant de devenir Premier Ministre, il a eu à diriger le cabinet du premier Président de la République du Sénégal, le Président Léopold S. Senghor, et coiffé, comme Ministre d’Etat, la diplomatie sénégalaise de 1978 à 1984 et de 1991 à 1998. M. Niasse, faut-il également le rappeler, a été l’envoyé spécial des Nations Unies dans de nombreux dossiers internationaux. Les frères et sœurs Congolais présents aux négociations peuvent témoigner que c’est un homme de foi. Les travaux au sein de sa commission démarraient toujours par des séances de prières. M. Niasse aime le Congo et s’entend bien avec les Congolais à qui il voue respect et admiration et ceux-ci, au demeurant, le lui rendent bien. Il faut aussi reconnaître qu’au 12 avril 2003, date initialement prévue pour la clôture des assises de Sun City, aucune résolution n’avait été adoptée au niveau de la commission politique et juridique. Son retour à Sun City, dans la semaine de prolongation, a permis de faire adopter toutes les résolutions pertinentes vont fonder politiquement et juridiquement la transition.

 

5. Digital Congo : Etait-il opportun ou réaliste d’avoir décrété la fin de la transition au 30 juin 2005 comme l’ont voulu certains acteurs politiques congolais le mois dernier ?

 

Pr El Hadj MBODJ : Une règle juridique ne peut faire l’objet d’interprétation que dans la seule mesure où elle est ambiguë, voire floue ou qu’il faille la clarifier en pour avoir une compréhension univoque. A cet égard, je vous renvoie tout simplement aux dispositions de l’article 196 de la constitution de la transition dont l’alinéa 1 pose un principe limitant la durée de la transition à 24 mois, assorti d’une exception prévue par l’alinéa 2 du même article qui envisage une possibilité de prolongation de 6 mois renouvelable une seule fois. En conséquence, nous estimons que le délai constitutionnel de la transition est de 3 ans à compter de l’installation du gouvernement de transition. Comme le soutient le Représentant de l’Union Européenne dans la région des Grands Lacs, Son Excellence M. Aldo AJELO, il y aura un vide juridique si à la date du 30 juin 2006 les nouvelles institutions n’auront pas encore été mises en place.

 

6. Digital Congo : Qu’est-ce qui a donc permis aux deux expertises nationale et internationale d’accorder leurs violons à chaque fois que leur concours a été sollicité pour éclairer l’opinion des législateurs dans l’élaboration des textes juridiques essentiels ?

 

Pr El Hadj MBODJ : Les deux expertises ont travaillé dans une ambiance et un climat faits de confiance et de respect mutuel, avec une complémentarité exemplaire. Au demeurant, il convient de reconnaître que l’expertise, en tant que mise en dynamique de compétences, de connaissances et de techniques, permet de rassembler dans un même cadre des acteurs provenant d’horizons différents, mais partageant souvent les mêmes angles de traitement des questions étudiées. Il en est ainsi de l’organisation des régimes politiques dont l’articulation repose souvent sur des principes, règles et mécanismes universellement admis. Aussi, l’expert national peut-il aisément accorder son violon à celui de l’expert international sur la quintessence des régimes parlementaire ou présidentiel, ou sur les mécanismes d’aménagement des droits fondamentaux de la personne humaine. De cette synergie, a résulté, tout logiquement, une parfaite osmose qui a permis aux experts internationaux de s’imprégner du contexte, de l’histoire et des expériences politiques cumulées de la RDC, et inversement, aux experts nationaux d’être plus sensibles aux expériences tentées ailleurs et dont la réceptivité pourrait être bénéfique au système constitutionnel à mettre en place.

 

C’est ainsi que, par exemple, la Commission constitutionnelle du Sénat avait pris l’heureuse initiative d’associer des experts nationaux et internationaux à l’élaboration du projet de Constitution. D’éminents professeurs de l’UNKIN et des universitaires de Liège, d’Anvers et de Dakar ont ainsi joué un grand rôle dans l’élaboration d’une mouture d’un avant-projet de Constitution. La participation de ces experts aux ateliers organisés par le Sénat avec l’appui de EISA (Electoral Institute of Southern Africa), à la Retraite de Kisangani pour travailler avec le comité de rédaction de la Commission constitutionnelle et, enfin, dans le cadre d’un collège d’experts du Sénat, a permis de lever les suspicions de certains collègues hostiles à ce qu’ils considéraient au départ comme une ingérence de la Communauté internationale par le biais de ses experts. Tout cela nous aura permis de cultiver de nouvelles relations fraternelles qui sont, à coup sûr, appelées à se renforcer, dans le futur, avec la richesse de cette expérience.

 

7. Digital Congo : De tous les textes juridiques sur lesquels votre expertise a été sollicitée, quel est celui qui a le plus posé de problèmes ?

 

Pr El Hadj MBODJ : On ne peut pas affirmer qu’il y a un texte qui, de par son contenu ou sa portée, ait été prééminent, car toutes les lois devant être adoptées par le Parlement sont essentielles à l’organisation du référendum et des élections. Et ces lois sont en étroite interaction ; aucune loi ne peut aller sans les autres. Il en est ainsi, par exemple, de la loi sur la nationalité qui va déterminer les conditions requises pour être électeur ou éligible ; la loi sur l’amnistie qui va assurer à certaines personnes entrant dans son champ d’application, de bénéficier une virginité judiciaire leur permettant de participer au processus de dévolution du pouvoir politique. On ne saurait, non plus, occulter le projet de Constitution qui doit asseoir les fondements du nouvel ordre politique post-transitionnel. On pourrait aussi évoquer la loi référendaire ou bien la loi électorale qui fixe les règles de conquête démocratique du pouvoir politique.

 

Nous tenons quand même à souligner que notre intervention se limitait essentiellement à l’expertise technique, c’est-à-dire, à la mise en œuvre des règles de la « légistique » et non à la détermination des options fondamentales qui, elles, sont du ressort des décideurs politiques. En d’autres termes, il ne revient pas à l’expert, particulièrement international, de s’immiscer dans le choix des options même si, par ailleurs, il est de son devoir d’attirer l’attention des politiques sur les dispositions « conflictogènes » c’est-à-dire contenant des germes de conflits pouvant éclater à l’occasion de la mise en application de la norme. S’inscrivant dans la continuité du dialogue inter-congolais, notre concours a été sollicité à propos de toutes les lois devant permettre à la RDC de sortir de sa longue transition.

 

8. Digital Congo : Quel jugement portez-vous sur le projet de Constitution devant les atermoiements et tergiversations qu’on voit au parlement ?

 

Pr El Hadj MBODJ : On ne saurait, à mon avis, parler d’atermoiements ou de tergiversations sur le texte constitutionnel de la part des Sénateurs ou des Députés de la transition. Les honorables Sénateurs conscients qu’ils avaient été investis d’une mission historique, se sont rendus compte qu’il leur revenait de faire en sorte que la question constitutionnelle puisse être durablement résolue afin d’ancrer définitivement la RDC dans une ère de stabilité démocratique. La Constitution de la transition, qui, faut-il le rappeler, est un texte conjoncturel qui visait à gérer de manière exceptionnelle une situation de sortie de crise, avait fait du projet de constitution une œuvre exclusivement nationale. Tout avait été prévu donc pour garantir une réelle maîtrise du processus par les Congolais. Il revenait au Sénat – comme nous le savons – d’adopter en toute souveraineté l’avant-projet de Constitution ; à l’Assemblée Nationale d’adopter le projet de Constitution et au peuple d’entériner le texte. Les choses sont claires, si bien que toute tentative d’ingérence étrangère ne pourrait recevoir de suite favorable que si les autorités décisionnelles congolaises, et elles seules, acceptent qu’il en soit ainsi.

 

Les controverses, apparues lors de l’élaboration du texte constitutionnel, trouvent leur fondement dans le fait que la Constitution est justement un texte de compromis qui instaure un équilibre entre des points de vue différents. Dans le cas d’espèce, les acteurs constitutionnels au sein du Parlement n’avaient pas tous un point de vue univoque, ni sur les options fondamentales, ni sur la nature du futur régime politique, ni sur l’équilibre des pouvoirs au sein de l’Exécutif, ni sur les rapports entre l’exécutif et le législatif, ni sur la forme unitaire ou fédérale de l’Etat congolais, ni enfin sur l’âge minimum requis pour être éligible à la magistrature suprême. Le consensus sur les différentes questions éminemment sensibles ne pouvait être facilement obtenu ; d’où les lenteurs observées dans le processus d’élaboration du projet de Constitution.

 

A notre sens, les autorités décisionnelles congolaises ont tiré profit non seulement de l’histoire politique et constitutionnelle congolaise mais également des expériences étrangères pour proposer au peuple congolais un projet de Constitution répondant aux canons universels de la démocratie et de l’Etat de droit. Le système constitutionnel proposé est relativement équilibré et novateur à bien des égards, dans la mesure où même la dimension genre a été prise en compte avec la consécration du principe de parité homme-femme. De la même façon, l’indépendance du pouvoir judiciaire a été renforcée avec la gestion administrative et budgétaire des magistrats par le Conseil Supérieur de la Magistrature, en l’absence de toute ingérence du Président de la République qui n’est plus le garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Enfin, l’autonomie des Provinces a été réaffirmée avec force sans oublier que les pouvoirs présidentiels vis-à-vis du Parlement et du Gouvernement ont été très équilibrés. Ce texte constitutionnel sera, à coup sûr, une source d’inspiration pour les pays qui souhaiteraient sortir d’une crise de légitimité récurrente.

 

9. Digital Congo : Quelles sont les innovations que contient le texte électoral et quels avantages offre-t-il aux différents partis politiques ?

 

Pr El Hadj MBODJ : Le projet de loi électorale est dans le circuit et ne devrait être adopté qu’après référendum. A ce jour, le Parlement n’a pas été officiellement saisi de la question, d’où notre réserve. Toujours est-il que le vœu de tous les partenaires de la RDC est que la loi électorale permette enfin l’organisation d’élections régulières, c’est à dire transparentes et loyales.

 

Nous souhaitons, cependant, l’adoption par le législateur d’un système électoral inclusif intégrant tous les acteurs politiques dans la gestion des affaires publiques. A notre humble avis, un scrutin de type proportionnel est plus conforme à la justice électorale dans la mesure où il permet la représentation parlementaire d’un grand nombre de partis, en même temps qu’il favorise le compromis dans la prise de décision. Ce mode de scrutin est sans doute de nature à réconcilier les acteurs politiques congolais avec eux-mêmes et avec leur système politique.

 

10. Digital Congo : Que pensez-vous du déroulement des opérations d’enrôlement et d’identification en cours en RDC ? – ce qui ouvre effectivement la voie à l’organisation des élections.

 

Pr El Hadj MBODJ : Les opérations d’enrôlement et d’identification sont une étape décisive du processus électoral, car elles déterminent la citoyenneté, c’est-à-dire le droit de participer à la vie de la cité en tant qu’électeur ou éligible aux fonctions électives.

 

En RDC, ces opérations revêtent une double importance: d’abord, elles sont la première phase d’application pratique du dispositif normatif devant permettre l’organisation des élections à la date prévue. Ensuite, elles interviennent dans un contexte particulier marqué par l’absence de données démographiques fiables - le dernier recensement général de la population remontant à 1984 – Cependant, l’identification et l’enrôlement des électeurs permettront de constituer un fichier électoral fiable, d’autant que toutes les technologies de pointe, notamment la numérisation des cartes d’électeur qui pourront servir en même temps de pièces d’identification officielle, sont mises au service de la cause électorale, avec l’appui de tous les partenaires internationaux qui , à ce jour, n’ont ménagé aucun effort pour que le processus électoral soit mené jusqu’à son terme.

 

Nous avons légitimement le droit d’être optimiste pour la suite des opérations au vu de l’engouement des populations congolaises qui se sont présentées en masse dans les centres d’enrôlement. A titre d’illustration, en trois semaines d’enrôlement, plus de 2355133 kinois ont été enregistrés sur les listes électorales, chiffre qui n’est pas trop loin de toute la population électorale de mon pays, le Sénégal, qui tourne autour de 2700000 électeurs. Les partis politiques et la société civile sont interpellés à ce stade du processus pour amener les citoyens à s’inscrire massivement sur les listes électorales car une élection se gagne principalement en amont. En effet, seuls les partis politiques ou les candidats qui auront réussi à inscrire le maximum de personnes susceptibles de voter pour eux, seront en pôle position pour tirer le plus grand profit des élections.

 

11. Digital Congo : Quel(s) souvenir(s) emportez-vous donc de la RDC après cette enrichissante expérience ?

 

Pr El Hadj MBODJ : J’ai été vraiment séduit par l’hospitalité, la gentillesse et la dignité des Congolais, oui, de l’ensemble du peuple, malgré les vicissitudes et difficultés de ces dernières années. Paradoxalement, ces difficultés et écueils ont véritablement conforté le patriotisme des congolais et des congolaises. Pendant toutes ces années passées au cœur de l’Afrique, dans cet immense pays qui a joué un grand rôle dans l’histoire ancienne et contemporaine de l’Afrique, l’observateur et non moins ami de la RDC que je suis, a assisté à la revitalisation de toute une nation, avec une société civile dynamique, un système des médiats performant et qui est en avance sur certains pays d’Afrique réputés démocratiques. Avec le concours de tous ses fils et l’assistance de toute la communauté internationale, la République démocratique du Congo, j’en suis sûr, renaîtra de ses cendres, tel le phénix. Je ne pourrais oublier tout ce que j’ai vécu ici, où je compte beaucoup d’amis et où j’ai également beaucoup appris. Je garde en mémoire de formidables souvenirs inoubliables. Une expérience qui, j’en suis sûr, pourra me servir ailleurs. De ce point de vue, je remercie le Congo et les Congolais tout en leur souhaitant bonne chance.

 

| MMC Source : http://www.digitalcongo.net/fullstory.php?id=56285