Conférence de l'ANCP sur « La Constitution à l’épreuve de la Gestion Libérale »
MODIFICATIONS TOUS AZIMUTS DE LA CONSTITUTION Le Pr El Hadj Mbodj brocarde le régime libéral
Le professeur de droit constitutionnel, El hadj Mbodj, n’a pas de mis de gants, hier, lors de la Conférence initiée par les cadres de l’Afp sur « La Constitution à l’épreuve de la gestion libérale », pour dénoncer les modifications tous azimuts de la Charte fondamentale par le régime libéral.
Selon lui, « le (Sénégal) est en train de sombrer dans les abysses cauchemardesques moyenâgeux de l’anti-constitutionnalisme ».
Source : POPulaire, n° 2723, 23 décembre 2008, p.4 et Revue de presse.
Permettez-moi, à l’entame de mes propos, de m’acquitter du devoir de présenter mes sincères excuses aux organisateurs de cette conférence pour les multiples reports de la rencontre dont la responsabilité devrait m’être entièrement imputée du fait des multiples engagements internationaux qui m’ont tenu éloigné du pays. L’Union Africaine m’avait confié le pilotage d’un projet, extrêmement important pour le devenir de notre continent, d’organisation d’une conférence continentale sur les constitutions africaines. Je viens de rentrer de Cotonou où l’Organisation Internationale Francophone (O.I.F) m’avait accordé le privilège de participer à l’animation d’un séminaire international sur les structures électorales indépendantes en Afrique.
Si j’ai tenu à mettre l’accent sur ces deux dernières activités, c’est pour mettre en exergue la récurrence du thème de la démocratie qui, assurément, a du mal à s’enraciner harmonieusement en Afrique. Cette lancinante actualité du constitutionnalisme et des élections dans le paysage politique africain corrobore la pertinence du thème que les cadres de l’AFP proposent à la sagacité des animateurs, des analystes et observateurs conviés à cette rencontre de haute portée de l’ANCP que je félicite et encourage à persévérer dans son noble combat pour la restauration de la démocratie et des valeurs républicaines dans notre pays.
Je ne saurais terminer mes propos sans renouveler mon amitié et mon affection bien fraternelle au Secrétaire général de l’AFP, son Excellence Moustapha Niasse, à qui j’adresse mes vœux de santé et de succès dans son combat inébranlable en direction de la République, de l’Etat de droit et du développement économique et sociopolitique de notre pays. Le nom de Moustapha Niasse est indissolublement attaché à la paix, à la justice, au respect de la considération de la personne humaine et à la morale politique que malheureusement répugnent des hommes politiques qui lui doivent tout ce qu’ils sont aujourd’hui. Dieu soutenant les causes justes, nul doute que son parcours national jusque là dressé d’obstacles sera bientôt tressé de lauriers.
Mesdames Messieurs
Distingués invités,
Le thème nous réunit présentement revêt une dimension multiple. La constitution n’est pas l’affaire exclusive des techniciens du droit, ni la propriété exclusive des politiques qui se battent pour conquérir, exercer ou conserver le pouvoir politique dont l’articulation, dans un Etat de droit, trouve sa source dans la charte fondamentale qui est la sève nourricière même de l’Etat.
La constitution est en effet fondatrice de l’Etat dont elle consacre la naissance et l'entrée dans la société internationale. Elle est aussi l’acte fondateur d'un nouveau régime politique au sein d'un Etat existant. La succession de régimes s'accompagne toujours d'une nouvelle constitution visant à marquer une rupture avec le régime précédent et le début d'une nouvelle ère dans la vie de l'Etat. La Constitution traduit alors une rupture avec le passé et une projection sur l'avenir en faisant figure de manifeste qui répudie certaines pratiques pour exalter des valeurs autres.
Tout Etat, du seul fait de son existence, est doté d’une constitution qui, en tant qu'instrument d'organisation du pouvoir, existait dans l'antiquité où Aristote avait recensé 158 Constitutions dans les cités grecques et barbares. La Magna Carta, rédigée par le Cardinal Langton à la tête des vassaux révoltés contre Jean sans Terre, fut adoptée sous la période médiévale. Plus près de nous, la Constitution Mandé ou Constitution du Kurukan Fugan, reconstituée à partir de chants mandingues, prouve s’il en est besoin, que la constitution, en tant qu’ensemble de règles relatives à la dévolution, à l’exercice et à la régulation d’une société politiquement organisée, n’est pas un concept inconnu des royaumes et empires africains pré-coloniaux, même si elle n’était pas écrite.
Toutefois, dans sa version contemporaine, l'idée de constitution remonte au mouvement du constitutionnalisme du siècle des Lumières. La constitution dans cette perspective est intimement liée au libéralisme et les révolutionnaires du 18ème siècle lui assignaient une mission bien définie, à savoir la garantie des droits et libertés des citoyens contre l'omnipotence du pouvoir royal.
Cet idéal était clairement affiché par la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen qui proclamait, notamment dans son article 16: "Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée n'a pas de Constitution. La notion moderne de Constitution, entendue corps de règles écrites, rigides et juridiquement obligatoires, est apparue au 18ème siècle avec l'adoption de la Constitution des Etats-Unis d'Amérique du 17 septembre 1787 et de la Constitution française du 3 septembre 1791.
De nos jours, presque tous les Etats du monde se sont dotés d'une Constitution à la suite de la seconde vague du constitutionnalisme des lendemains de la première guerre mondiale et, surtout, de la troisième vague qui a accompagné le processus de décolonisation des anciennes colonies européennes d’Afrique et d’Asie.
Quelles que soient les circonstances qui sont à son origine, la constitution a une portée philosophique. Elle vise à admettre que le pouvoir n'est pas illimité et que ses détenteurs doivent agir dans le cadre de normes abstraites qui les transcendent en leur imposant des bornes. La limitation du pouvoir des gouvernants est à l'origine de la Constitution qui marque le passage d'un pouvoir arbitraire dans lequel tout est permis à un Etat de droit soumis à des règles qui lui sont supérieures.
La Constitution est considérée comme la charte fondamentale déterminant en quelque sorte le statut du pouvoir politique dans l'Etat. Elle a une valeur juridique primordiale car elle crée un système de règles organisant le pouvoir, l'obligeant à respecter certaines formes, à utiliser des procédures convenues prévoyant la participation des citoyens au choix des gouvernants ou à l'élaboration de certaines décisions. On le voit, son objet spécifique est d'organiser les pouvoirs publics et d'aménager les rapports qu'ils entretiennent entre eux d'une part et avec les gouvernés d'autre part. La Constitution est le code du pouvoir de l'Etat et dans l'Etat. Elle détermine les règles du jeu politique en organisant les modalités de dévolution et d'exercice du pouvoir politique dans l'Etat. Elle limite le pouvoir des gouvernants en réglementant "l'usage" face aux citoyens.
Toutefois, à la lumière de la pratique constitutionnelle, l’existence formelle d’une constitution ne suffit pas à elle-seule pour ancrer le constitutionnalisme dans la culture démocratique d’un Etat. L’'expérience a montré que les dictatures ou les régimes nés d'un coup d'Etat peuvent se donner une apparence démocratique en se dotant d'une constitution qui n'est en réalité qu'un instrument de camouflage juridique permettant de transformer une situation de fait en un régime de droit.
Notre pays offre malheureusement l’exemple de la constitution déshabillée de tous ses oripeaux démocratiques par son instrumentalisation par le pouvoir libéral issu de l’alternance démocratique du 19 mars 2000.
Il est loisible à tout observateur de bonne foi de constater, qu’après avoir relevé avec brio le défi d’une l’alternance démocratique paisible, unique en son genre en Afrique, notre pays est en train de sombrer dans les abysses cauchemardesques moyenâgeux de l’anti-constitutionnalisme. Cette alternance était pourtant pleine d’espoir, même pour ceux qui, à l’instar de votre fidèle serviteur, ne l’avaient pas portée à ses débuts. Les conditions de transparence dans lesquelles elle est intervenue, l’élégance démocratique du président vaincu et surtout le profit a priori rassurant du vainqueur soutenu par des patriotes compétents et imbus des vertus de l’Etat et de la République, militaient pour un ancrage irréversible de la démocratie dans notre pays. L’optimisme béat était de mise partout. Aussi, partant de la déclaration de foi du vainqueur comme quoi « il ne marchera jamais sur des cadavres pour atteindre le sommet du pouvoir», avais-je, peut-être péremptoirement, soutenu, dans une interview au journal « Le Soleil ».des 25-26 mars 2000, « le juriste qu’il est, ne pourra tordre le coup au droit pour atteindre ses objectifs ». Autant l’encourageais-je à exploiter toutes les ressources légales que lui conférait la constitution par une interprétation constructive de la charte fondamentale, autant le mettais-je en garde contre toute interprétation latitudinaire qui, d’exception en exception, pourrait vider la constitution de toute sa substance.
Malheureusement, ce droit et les valeurs qui le sous-tendent vont très vite être malmenés et, ceci, le jour même de l’investiture du nouveau président avec le populisme qui avait entouré la cérémonie de prestation du serment qui requiert sobriété et sérénité en tant qu’acte de procédure judiciaire, suivie immédiatement d’une levée des couleurs entonnée d’un hymne personnel dépourvu de toute base légale ou conventionnelle, à la place de notre cher hymne national de la République. Les violations multiples de la légalité républicaine auxquelles s’ajoute le recours à la violence et à d’autres méthodes que le droit et la morale réprouvent pour chercher à atteindre des citoyens, dont le seul tort est de ne pas penser comme eux, sont allés crescendo depuis.
Mais la rupture la plus grave et préjudiciable à l’histoire constitutionnelle fut la mise à mort de la Constitution du 7 mars 1963 et son remplacement par la Constitution du 22 janvier 2001. Cette rupture était, à vrai dire, inopportune dans la mesure où la nouvelle Constitution, dans son contenu, n’a fait que reprendre l’essentiel des dispositions de l’ancienne Constitution. Les innovations introduites dans le nouveau dispositif constitutionnel sont, hélas, à l’origine des dérives présidentialistes, néo-patrimonialistes et autres pratiques dévoyées qui ont fini de ravaler notre système politique au rang de démocratie bananière. En effet, on a assisté et on continue à assister à un véritable jeu de massacre (I) qui, contrairement aux attentes de tout un peuple jadis considéré comme un grand donneur de leçons de démocratie devant l’éternel, a entraîné un recul de la démocratie sénégalaise (II).
I. UN JEU DE MASSACRE
La Constitution du 22 janvier 2001 jouissait d’une légitimité de départ ou d’entrée sans conteste. Elle était approuvée par le peuple sénégalais à l’occasion d’une consultation référendaire tout-à-fait régulière même si, techniquement, elle était en deçà des attentes, aspirations et demandes du peuple. L’adoption d’une nouvelle constitution occultait en réalité un double détournement de procédure et de pouvoir.
D’une part, il n’était pas question, dans l'intention des tenants de l'alternance démocratique de 2000, de manifester une quelconque ingratitude à l’encontre de la Constitution du 3 mars 1963 qui avait administré la preuve de son efficacité et de sa démocratie en permettant le déroulement d’un jeu électoral qui a conduit à l’alternance. Cette constitution la plus vieille en ce moment d’Afrique ne méritait pas la poubelle, mais tous les honneurs et la reconnaissance de ceux qui ont accédé à la magistrature suprême grâce à ses vertus démocratiques.
Détournement de pouvoir car le processus constitutionnel a été accaparé et confisqué par celui qui a tiré profit du déroulement démocratique de la présidentielle de 2000 et qui voulait, à travers une constitution taillée sur mesure, mettre en œuvre son propre programme, nonobstant le fait qu’il était le candidat élu d’une coalition d’une part, et que le programme de la dite coalition mettait davantage l’accent sur des modifications consensuelles à apporter démocratiquement à la constitution.
Par une démarche exclusive plaçant ses alliés sur la défensive et diabolisant ses contempteurs, le pouvoir libéral réussit à s’approprier la constitution devenue sa propre chose. Loin de se satisfaire de son œuvre, il va profondément bouleverser toute la cohérence juridique et institutionnelle en imposant sa vision unilatérale du constitutionnalisme. En effet, moins de 8 ans après sa promulgation, la Constitution fera l’objet de 14 révisions constitutionnelles, compte non tenu des deux pseudos lois constitutionnelles de couplage et de découplage des élections présidentielle et législatives de 2007, soit une révision par semestre. Loin de s’inscrire dans une perspective de renforcement et de consolidation de la démocratie constitutionnelle, ces modifications, généralement imposées sinon forcées, laissent apparaître une remise en cause, un profond bouleversement, un véritable massacre structurel et principiel de la constitution.
A. DESTRUCTURATION DE L’EDIFICE INSTITUTIONNEL
La Constitution de 2001 avait procédé à un ordonnancement institutionnel destiné à alléger et à rationaliser le fonctionnement de l’appareil d’Etat par la suppression d’institutions considérées comme budgétivores, inutiles et couteuses.
Le Sénat et le Conseil économique et social étaient tombés sous le couperet des nouveaux conquérants du pouvoir étatique avec l’assentiment du peuple. Ces institutions seront réintroduites dans le dispositif constitutionnel sénégalais à la faveur de révisions constitutionnelles adoptées par un Parlement constituant à la dévotion d’un chef omnipotent, sans même une quelconque association ou implication du souverain primaire au processus constituant. Ces nouvelles institutions du régime libéral s’éloignent de leurs devancières dans la mesure où il a été reconnu au chef un pouvoir de cooptation qui lui permet de récompenser sa clientèle, tout en se dotant d’un personnel de légitimation de ses politiques.
Des raisons subjectives sous-tendent très souvent l’œuvre constitutionnelle libérale. Les institutions sont généralement créées ou supprimées selon l’humeur du moment du chef, ainsi que prouve la restauration suivie de sa suppression du Conseil économique et social qui, tel le phénix, renait toujours de ses cendres dans le dispositif institutionnel sénégalais.
La valse de révisions affectant le statut du président de l’Assemblée nationale s’inscrit aussi dans le cadre de la manipulation constitutionnelle visant à affaiblir les institutions qui gênent un chef omnipotent. Le porte parole du PDS, M. Abdou FALL, vient d’avouer que l’annualisation du mandat du Président de l’Assemblée nationale ne se justifie plus dès lors que le Président Macky Sall a été soigneusement liquidé par ses anciens frères.
Toujours dans le cadre de ce massacre structurel, il convient de s’arrêter sur les tentatives de déstabilisation du pouvoir judiciaire avec la restauration de la Cour suprême appelée à connaître de l’ensemble du contentieux judiciaire, à l’exception des contentieux constitutionnel et comptable. Evidemment, les raisons officielles manquent de pertinence à tous points de vue. La pratique libérale autorise encore à se demander si, au-delà du dit, des considérations subjectives dépendant des rapports interpersonnels, en plus du plaisir non canalisé du chef de nommer ou de dégommer comme bon lui semble, ne sont pas à la base de cette réforme qui continue son petit bonhomme de chemin avec l’intention annoncée de faire la peau à la Cour des comptes en dépit des directives de l’UEMOA.
B. ECRASEMENT DES PRINCIPES
Les valeurs et principes sur lesquels se fondent la démocratie et le constitutionnalisme sont constamment piétinés, sinon écrasés. Le pouvoir libéral se fait peu de soucis des principes, des règles et valeurs qui fondent la culture constitutionnelle que l’on peut considérer comme l’ensemble des usages, comportements et attitudes fortement intériorisés dans les consciences collectives des acteurs constitutionnels.
Le constitutionnalisme de la troisième génération des régimes politiques africains repose sur le partage des valeurs et bonnes pratiques, la participation des acteurs à une dynamique constitutionnelle inclusive et l’appropriation populaire des constitutions. Une constitution, considérée comme un patrimoine institutionnel commun, ne devrait pas se présenter comme la chose d’une fraction du corps social. En outre, elle doit réserver une part fort importante aux principes et vertus du libéralisme politique, notamment la séparation des pouvoirs avec la garantie de l’indépendance du pouvoir judiciaire, la limitation des gouvernants par les voies de recours ouvertes aux citoyens, l’organisation périodique d’élections transparentes, loyales et régulières pour une dévolution démocratique du pouvoir d’Etat Ces principes sont quotidiennement transgressés par le pouvoir libéral qui a fini de domestiquer le Parlement et cherche à étendre ses tentacules sur le pouvoir judiciaire qui est le dernier rempart contre l’arbitraire.
Les premières escarmouches du pouvoir libéral avec le pouvoir judiciaire ont vite commencé avec la campagne pour les élections législatives du 29 avril 2001, lorsque le chef de l’Etat accepta de mettre à la disposition de la coalition qui le soutenait son effigie ainsi que sa propre personne alors que, n’étant pas la tête de liste de la coalition « Sopi », il devait s’interdire d’intervenir dans la campagne électorale. Le Conseil constitutionnel, saisi à cet effet par l’opposition, censura une telle attitude, suscitant immédiatement l’ire du Président de la République qui, non content d’exprimer publiquement, et par écrit, son opposition à une décision juridictionnelle, servit au Président du Conseil constitutionnel une véritable demande d’explication de la motivation de la décision judiciaire prise. Ce précédent est unique dans l’histoire du pouvoir judiciaire des régimes démocratiques. Que la plus haute autorité du pays se permette de contester ouvertement une décision de justice, en adressant une demande d’explication à une juridiction au mépris de l’indépendance du pouvoir judiciaire solennellement proclamée par le Préambule de la Constitution et formellement organisée par le corpus constitutionnel et les lois subséquentes, est une dérive extrêmement dangereuse pour la démocratie et l’Etat de droit. Une telle attitude de sa part, est de nature à décrédibiliser les institutions de la République, en particulier, le pouvoir judiciaire et peut couvrir le lit de l’incivisme.
Autre écrasement de principe avec la récente révision constitutionnelle de l’article 27 de la constitution faisant passer le mandat du président de cinq à sept ans, au moment précisément où le mandat des présidents des chambres parlementaires passait de cinq à un an. Profitant de ce qu’il considère comme une faille de la constitution, le pouvoir libéral est revenu sur une disposition consensuelle alors que politiquement et juridiquement rien ne l’y autorisait.
Enfin, l’on ne saurait passer sous silence les pseudos lois de prorogation du mandat des députés, grossièrement qualifiées de lois constitutionnelles alors qu’elles n’ont rien révisé à la constitution. L’on pourrait multiplier à l’infini les atteintes aux principes fondamentaux du droit constitutionnel qui procèdent à une véritable mise à mort de l’Etat de droit et de la démocratie constitutionnelle au Sénégal.
II. LE RECUL DE LA DEMOCRATIE
Il est fort visible car remarqué et dénoncé aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur du pays. Les libéraux en sont conscients dès lors qu’ils ne se donnent même plus la peine de se justifier ou de défendre leur position. Lors de la récente conférence continentale sur les constitutions africaines, les trois plus mauvais exemples cités en matière de mal gouvernance constitutionnelle étaient le Zimbabwe, le Sénégal et l’Algérie. Mais alors que cette dernière avait envoyé ses experts pour défendre courageusement les dernières réformes constitutionnelles, les deux premiers pays avaient opté pour la politique de la chaise vide à la rencontre de l’Union Africaine où les 53 Etats africains avaient été conviés. Et pourtant le parti libéral regorge de juristes très compétents, mais ceux-ci sont très certainement mal à l’aise scientifiquement pour jouer les avocats du diable.
Ce recul de la démocratie par rapport à la matière constitutionnelle trouve son fondement dans l’instrumentalisation du Parlement constituant et cause un préjudice tel que les tenants du pouvoir doivent se ressaisir pour prendre des initiatives visant à redorer le blason démocratique de notre pays.
A. L’INSTRUMENTALISATION DU PARLEMENT CONSTITUANT
Toutes les révisions constitutionnelles ont été adoptées par le Parlement, alors même que la volonté du peuple devrait être prise en compte s’agissant des réformes qui affectent profondément notre système démocratique.
L’adoption par la voie institutionnelle de modifications à la constitution est une pratique régulière des démocraties constitutionnelles car le recours au peuple pour n’importe quelle virgule à changer à la constitution (Mali) est extrêmement couteux et inutile. Toutefois, le référendum devrait être le principal procédé d’adoption et de modification des constitutions. Il devrait être de droit pour certaines modifications, comme cela devrait être le cas de l’article 27 de la Constitution sénégalaise.
Au Sénégal, le pouvoir libéral semble éprouver une paranoïa irrévérencieuse à l’égard du référendum qui, pourtant, est un baromètre permettant de tester la légitimité d’un pouvoir. Aussi, privilégie-t-il sans état d'âme, la voie institutionnelle qui, en soi, n’est pas anti-démocratique dans la mesure où les représentants sont censés représenter le peuple dans son entièreté ou dans ses différents segments. Toutefois, la validation démocratique des modifications institutionnelles est conditionnée par la légitimité même du Parlement dont les membres doivent être élus selon un processus électoral transparent et en mesure de bien intégrer la mission qui leur est dévolue. Ces deux paramètres sont loin d’être respectés au Sénégal où les dernières élections ont été boycottées par plus de 65 % du corps électoral et où les parlementaires apparaissent davantage comme des représentants du chef du parti que du peuple. Il s’y ajoute que le Sénat est loin de représenter les collectivités locales dans la mesure où la majorité des sénateurs procède de la volonté souveraine exclusive du Président de la République.
En définitive, le Parlement est entièrement à la dévotion d’un président incontesté qui, statutairement chef du parti hyper majoritaire dont il est "la seule constante", transforme l’institution parlementaire en chambre d’approbation de ses projets. Cette vision libérale tropicalisée du constitutionnalisme est étrangère à l’histoire, à la culture et même à l’environnement sociopolitique du Sénégal, dans la mesure où elle traduit une vision instrumentale de la constitution, considérée juste comme la source et l’expression de la légitimation du pouvoir des libéraux.
Une telle situation est loin d’être glorieuse pour les tenants du pouvoir car ne s’accommode nullement des nouvelles démarches et valeurs démocratiques qui privilégient le dialogue, la négociation et le compromis dans le processus de prise des décisions politiques.
B. L’APPEL A LA RESTAURATION DE LA CONSTITUTION
La démocratie sénégalais, c’est une tautologie, est malade. Elle est en danger. Cette situation interpelle tous les enfants de ce pays qui sont responsables devant les générations à venir. Le Sénégal ne doit pas voguer à contre-courant du développement démocratique qui se déroule actuellement en Afrique, et en particulier dans le cadre de l’Union Africaine. L'Acte constitutif et les diverses déclarations et chartes de notre organisation continentale prescrivent le respect de la Constitution et promeuvent l’attachement à l’Etat de droit, à la séparation des pouvoirs, à l'indépendance du pouvoir judiciaire, au pluralisme politique, à l'équilibre entre les sexes dans les processus politiques, à l'organisation régulière d'élections libres, transparentes et loyales, et à la garantie les droits humains fondamentaux.
Plus spécifiquement, la Charte de la démocratie, des élections et de la gouvernance adoptée en janvier 2007 à Addis Abeba par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union Africaine, réitère et renforce les engagements des Etats membres de l’Union au développement de la démocratie et de la paix dans ce document consolidé et légalement contraignant qui invite Etats membres à construire des bases institutionnelles et culturelles solides pour l’épanouissement de la démocratie, du développement durable et de la paix.
Dans la logique de ces déclarations, l’Union Africaine réprouve l’impunité, les assassinats politiques, les actes de terrorisme et autres activités subversives et rejette et condamne tout changement anticonstitutionnel de gouvernement ainsi que toute manipulation des constitutions par les gouvernants en place pour se maintenir indéfiniment au pouvoir, mettant ainsi en cause l’alternance démocratique.
Enfin, la Charte encourage les Etats à se doter de constitutions démocratiques définissant les règles et principes directeurs du pluralisme politique, le renforcement de la bonne gouvernance et le respect des droits de l'homme.
Plus près de nous, au Bénin et au Mali, le souci de juguler les risques de dérives et la volonté d'affermir la démocratie et de promouvoir une gouvernance mieux assumée, ont amené ces pays à initier une réflexion de fond propre à identifier les outils de réformes substantielles susceptibles d’apporter des réponses appropriées.
Aussi, le Président Boni YAYI, a-t-il décidé de confier, dès avril 2006, au lendemain de son élection, à un Comité d’experts indépendants composé d’éminents constitutionnalistes et sociologues, le soin de dresser un état des lieux de la démocratisation et de formuler des recommandations allant dans le sens d’un renforcement des acquis démocratiques.
Il en a été de même au Mali, avec la mise en place, en février 2008, d’un Comité de réflexion sur la consolidation de la démocratie, dont la lettre de mission dressée par le Chef de l’Etat, Son Excellence Monsieur Amadou Toumani TOURE, mettait surtout l’accent sur les possibilités de renforcement des acquis démocratiques.
Qu’est-ce qui pourrait empêcher leur Pair sénégalais de s’ouvrir à son environnement domestique en faisant preuve de capacité de dépassement pour se réconcilier avec ses partenaires d’hier en les impliquant dans l’œuvre de redressement national dont il sera, en dernière instance, le principal bénéficiaire du fait de la paix sociale et du renforcement de son prestige interne et international. Qu’il mette à profit les compétences énormes de ce pays en confiant à nos illustres doyens, les professeurs Seydou Madani Sy, Ibrahima Fall, Ibou Diaité, Pathé Diagne, aux éminents constitutionnalistes de son gouvernement, les professeurs Moustapha Sourang et Serigne Diop - la liste n’est pas exclusive- la mission historique de redressement démocratique et de résolution définitive de l’équation constitutionnelle sénégalaise qui ne devrait pas hypothéquer le développement de notre pays.
Des possibilités de construction de la démocratie, de gestion des diversités, et de production de processus politiques représentatifs et inclusifs pourront ainsi être offertes à une Constitution consensuelle devenue un instrument de transformation sociale, d’émancipation économique et de promotion de la sécurité humaine du peuple sénégalais.