Après la validation de la candidature de Wade: propos d'un juriste privatiste sur l'arrêt du conseil constitutionnel du 29 janvier 2012

Comme tout citoyen sénégalais intéressé par l’avenir politique de son pays, j’attendais avec empressement et curiosité la décision du Conseil constitutionnel à propos de la validité - contestée - de la candidature du Président Wade. Dans ma posture de juriste, et non de militant, je m’attendais surtout à lire un arrêt fondé sur des motivations hors de tout reproche formel. Le débat fort intéressant avec des arguments divers méritait d’être tranché par le Conseil constitutionnel, ne serait-ce que sur le terrain de la logique juridique, par une décision sans équivoque.

Après la validation de la candidature de Wade: propos d'un juriste privatiste sur l'arrêt du conseil constitutionnel du 29 janvier 2012

DE L'ART DE (MAL) JUGER

Propos d’un juriste privatiste sur l’arrêt du Conseil constitutionnel du 29 janvier 2012

 

Par le Professeur Moussa SAMB

Major du 6ème concours d'agrégation de droit privé

Ancien Directeur du CREDILA

Ancien Directeur des Etudes de l'IDHP

Consultant international


Comme tout citoyen sénégalais intéressé par l’avenir politique de son pays, j’attendais avec empressement et curiosité la décision du Conseil constitutionnel à propos de la validité - contestée - de la candidature du Président Wade. Dans ma posture de juriste, et non de militant, je m’attendais surtout à lire un arrêt fondé sur des motivations hors de tout reproche formel. Le débat fort intéressant avec des arguments divers méritait d’être tranché par le Conseil constitutionnel, ne serait-ce que sur le terrain de la logique juridique, par une décision sans équivoque.  

 

Une telle décision était attendue non seulement pour trancher un débat de juristes ou «de constitutionnalistes», mais également pour résoudre un problème politique crucial pour l’avenir de notre pays. On pouvait donc s’attendre, compte tenu du profil des juges et des soupçons exprimés sur leur indépendance, à une décision irréprochable du point de vue de sa motivation à défaut d’être satisfaisante pour tous dans son dispositif.

 

Le Conseil constitutionnel, interprétant les normes juridiques constitutionnelles qui se trouvent être au sommet de la hiérarchie des normes, doit en effet fonder ses décisions sur une motivation infaillible, répondant avec précision aux griefs formulés par les requérants. C’est pourquoi, le rejet de la requête de Youssou Ndour et autres, fondé sur une simple reprise de la «jurisprudence Yoro Fall» ressemble à un déni de Justice. Les Sénégalais n’avaient-ils pas le droit de savoir si les signatures déposées par ces candidats étaient valides ou non ? Quelle a été la méthode utilisée pour juger de leur validité ?

 

Dans cette contribution, mon propos sera exclusivement consacré à la partie de l’arrêt statuant sur la candidature de Wade.

Il est regrettable de constater que pour statuer sur la validité de cette candidature, le Conseil n’a pas convaincu et l’arrêt comporte, à mon sens, des incohérences et des inexactitudes graves. Pis, le juge constitutionnel procède par une argumentation péremptoire et contestable du simple point de vue de la logique juridique.

 

On peut, à mon avis, relever d’abord une première incohérence dans la première motivation répondant au grief selon lequel les requérants :

«…soutiennent qu’ils entendent faire dire et juger que cette candidature est entachée d’inconstitutionnalité et doit être annulée ; qu’il s’agit plus de faire appliquer le principe de l’effet immédiat de la loi nouvelle que d’une quelconque rétroactivité… que même si le principe de non rétroactivité était en cause, celui-ci ne pourrait être invoqué en l’occurrence car sa valeur constitutionnelle se limite au domaine pénal».

 

Dans sa motivation, le Conseil semble d’abord donner droit au moyen soulevé par les requérants, portant sur l’inapplicabilité du principe de la non rétroactivité, en concédant que :

«La Constitution de 2001 a vocation à recevoir une application immédiate conformément à l’article 1er de l’article 108 de la Constitution qui dispose :’’La Constitution adoptée entre en vigueur à compter de sa promulgation par le président de la République. Cette promulgation doit intervenir dans les huit jours suivant la proclamation du résultat du référendum par le Conseil constitutionnel’’.»

 

Une première incohérence réside dans le fait que le Conseil, après avoir donné droit au grief des requérants, revient sur cette concession en ajoutant :

«Considérant, néanmoins, que le constituant peut en décider autrement… que cette volonté souveraine est traduite par l’article 104 de la Constitution qui dispose que ‘’le président de la République en fonction poursuit son mandat jusqu’à son terme’’.»

 

Cette motivation pose deux problèmes : d’abord on peut se demander comment la Constitution peut proclamer son application immédiate et «en décider autrement» de manière non expresse. Ensuite il n’y a aucun doute que l’article 104 (alinéa 1), cité par le Conseil à l’appui de son affirmation, ne remet nullement en cause l’application immédiate des dispositions constitutionnelles, énoncées en termes généraux par l’article 108. Il se limite à régler le problème de la durée (7 ans conformément aux termes de la Constitution de 1963 et non 5 ans conformément à la Constitution de 2001) du mandat en cours. Aucune démonstration n’est faite que l’article 104 s’applique au principe du non renouvellement plus d’une fois du mandat présidentiel, qui lui se trouve posé par l’article 27 de la Constitution.

 

Du reste, le juge reconnaît lui-même les termes de l’article 104 in fine qui disposent que «toutes les autres dispositions de la Constitution lui sont applicables… visent, entre autres, la limitation du mandat du président de la République à un seul, renouvellement consacrée par l’article 27 de la Constitution».

 

Il s’ensuit, donc, que cette disposition (et non «cette décision» comme l’écrit faussement le Conseil) ne saurait être superfétatoire puisqu’il vise l’application immédiate - à lui - au président de la République en fonction - de toutes les autres dispositions de la Constitution. Autrement et simplement dit, si «lui» peut poursuivre son mandat de 7 ans, toutes les autres dispositions, y compris l’article 27, s’appliquent à «lui». Point n’est besoin d’être grand clerc pour comprendre ce qui est écrit. (Mon collègue et grand frère Professeur Mactar Diouf, économiste de renom et non juriste, en a fait une brillante démonstration dans le journal Nouvel Horizon)

 

Inexactitude ne saurait aussi être plus flagrante que d’affirmer, aussi péremptoirement, que l’article 104 ne peut « …sauf mention expresse… » concerner, sans incohérence, le mandat que l’article 104 a placé hors de son champ d’application en le faisant régir par la Constitution de 1963. En vérité, cette affirmation sort de l’imaginaire des juges du Conseil car l’article 104 n’a nullement entendu placer le mandat hors du champ d’application de la Constitution de 2001, sinon il n’aurait pas précisé que toutes les autres dispositions de la Constitution de 2011 s’appliquent à lui. Simple logique qui veut que si toutes les autres dispositions de la Constitution sont applicables au mandat en cours, c’est qu’il ne saurait être considéré comme hors du champ d’application de celui-ci !

 

Plus grave, le Conseil affirme plus loin «le mandat écarté sans équivoque par l’article 104 de la Constitution ne peut servir de décompte référentiel (sic)» ; il ne s’agit nullement de décompter quoi que ce soit sinon que, logique pure et simple, le mandat en cours bien que consacré de 7 ans par l’article 27 (rédaction issue de la révision de 2008) reste bien régi par toutes les autres dispositions de la Constitution de 2001.

 

Inexactitude enfin, lorsque le Conseil constitutionnel affirme que «la durée du mandat, traduction temporelle de celui-ci, ne peut en être dissociée». Il faut, en effet, bien dissocier la durée du mandat et l’interdiction de son renouvellement plus d’une fois ; sinon l’article 27 de la Constitution que le juge ignore volontairement dans son raisonnement n’aurait pas été modifié en octobre 2008 sans passer par la voie référendaire, comme toute révision de ce texte devrait normalement procéder.

 

On se souvient que mon collègue et jeune frère Professeur Madior Fall s’était insurgé contre la révision constitutionnelle de 2008 qui visait à modifier la durée du mandant, en la portant à 7 ans, sans toucher à l’interdiction du renouvellement plus d’une fois du mandat présidentiel. Comment un juge constitutionnel peut-il affirmer que durée du mandat et renouvellement du mandat, c’est kif-kif. Les étudiants de 1ère année de droit n’y comprendront rien !

 

Le Conseil constitutionnel, de manière bizarre, finit son raisonnement en décidant sans le démontrer, que «le président de la République, sous la Constitution de 2001, effectue un premier mandat durant la période 2007-2012». Quid du mandat 2001-2007 dont la Constitution de 2001 n’a modifié que la durée ? Aucune disposition expresse ne l’écartant du principe du non renouvellement.

 

On peut donc en bonne logique souhaiter que cette décision ne fasse pas jurisprudence, il serait dommage qu’elle soit considérée par les étudiants de première année de droit comme un arrêt modèle parce que l’arrêt qui la porte est truffé d’inexactitudes et souffre d’une incohérence viscérale.